mercredi 4 novembre 2015

Trail du Cousson 2015





Samten-Dzong est une maison blanche aux hautes façades verticales, entourée d'arbres et de drapeaux tibétains. La villa ne se trouve pourtant pas au pied de l'Everest, mais du Cousson, un petit sommet qui surplombe Digne-les-Bains. C'est la dernière demeure d'Alexandra David-Neel, aventurière, écrivaine, libre penseuse. Enfant, j'ai découvert Samten-Dzong un jour de pluie... L'ancienne secrétaire de David-Neel nous avait guidé parmi les souvenirs, évoquant un puzzle d'expériences lointaines. Il faisait sombre, dehors la pluie tombait, et tous les objets autour de moi parlaient d'aventures à l'autre bout du monde.

Depuis, je suis souvent revenu devant cette maison. J'ai lu les livres de David-Neel, et suis tombé sous le charme de sa prose, en particulier des ambiances mystérieuses et de l'enquête, autant policière que métaphysique, de La puissance du néant. J'ai toujours pensé à Alexandra David-Neel quand j'ai couru dans le Cousson. C'est une montagne très douce, dans laquelle j'aime venir m'aérer. Je n'ai pourtant jamais participé au 45km qui s'y organise depuis quelques années, alors je décide de m'inscrire, pour récolter quelques points au challenge des Trails de Provence et surtout pour découvrir autrement les lieux.

Le départ s'effectue au niveau des thermes de la ville, direction le petit village des Dourbes. Devant ça part plutôt fort, enfin c'est l'impression que j'ai. Je me place aux alentours de la dixième position, et je temporise un peu, profitant de la beauté du parcours. Pour une raison qui m'échappe maintenant, j'étais persuadé que cette première section ne serait pas vraiment intéressante, et que la course commencerait vraiment avec la montée sur la barre des Dourbes. Que nenni ! La course emprunte une série de singles très sympas, les bois sont magnifiées par les belles couleurs de l'automne, les passages ravinés et les cascades nous en mettent plein les yeux... C'est vraiment une chance de pouvoir traverser de tels endroits.



À partir du premier ravito, on entame une montée régulière jusqu'à la barre des Dourbes, montée que j'effectue à petites foulées. En haut, ça coince un peu au moment de relancer, et je laisse filer les deux coureurs avec qui je me trouve alors, Florent Sourbier et Stéphane Oliva. Cette courte section en crête offre une très belle vue sur tout le pays dignois, mais il faut aussi regarder ses pieds – la pierre est saillante et le buis foisonnant. On redescend ensuite rapidement vers le village, en contrebas, sur un sentier qui alterne passages techniques et relances franches. Stéphane Durbano, avec qui j'ai couru la semaine précédente, revient à quelques dizaines de mètres, et on arrive presque en même temps au second ravito, sur lequel on retrouve les coureurs du 25km.

Je récupère du jus de pomme pour les bidons, des pâtes d'amandes, un petit sandwich, et je repars rapidement – c'est délicieux mais je me laisse un peu grisé par cette effervescence soudaine, je double pas mal de coureurs dans les kilomètres roulants qui viennent, et je décide même de relancer un peu dans la descente, ce qui ne me ressemble pas. J'aurais mieux fait de garder mon rythme de grand-mère arthritique, puisque je me prends une bonne boite dans un virage serré, en tombant je me crispe, et les crampes aux mollets apparaissent. Je fais quelques mètres en marchant, le temps de reprendre mes esprits et de faire le point : il reste une vingtaine de kilomètres, les crampes ne sont pas vraiment une bonne nouvelle. C'est con, je me sentais super bien jusque-là, mais d'un autre côté je peux encore finir honorablement si je ne fais pas n'importe quoi : je sais qu'il faut repartir lentement, et jauger l'effort en fonction des ressentis.

J'y vais donc vraiment, vraiment tout doux dans la fin de la descente, puis dans le beau passage des terres noires qui nous mène jusqu'au pied du Cousson. Le bout de montée sur une piste est un calvaire, j'avance à deux à l'heure, à toutes petites foulées, alors que j'ai l'habitude de courir correctement ce passage à l’entraînement, et sans me poser de questions. Ça va un peu mieux quand on repasse en sous-bois : je ne vais pas plus vite, mais la beauté du chemin me sort complètement de mes idées noires, je laisse ma pensée divaguer, souple et tortueuse comme ce sentier qui grimpe lentement vers les bergeries du Cousson. Arrivé à ce nouveau ravitaillement, je ne suis pas vraiment en meilleur état physiquement, mais je me sens très bien psychologiquement : j'arrive à faire une estimation du temps que va me prendre le reste de la montée, et je me projette avec plaisir vers ce sommet que j'aime tant. Je suis un peu étonné de ne pas voir revenir de coureurs, et je me dis que les enchaînements de section très roulantes et de belles montées doivent faire quelques dégâts.



Dans les dernières pentes, raides, qui mènent à la magnifique petite chapelle de St Michel du Cousson, tout droit sortie d'un bouquin gothique du 19eme, j'entends une voix aiguë, derrière moi. J'ai l'intuition qu'elle appartient à Irina, qui excelle quand ça grimpe, et je ne me trompe pas : c'est bien elle qui revient aisément. Très heureux de la voir, je me mets à discuter, et elle me parle de sa récente expérience sur le Tor des Géants. On aborde la dernière section, la longue descente que je connais bien, et dans laquelle je sais qu'il faut faire attention : c'est plutôt roulant, mais ça peut être traitre, et je sais que les crampes peuvent revenir à tout moment. J’emboîte d'abord le pas à Irina, avant de repasser devant et de relancer un peu, grisé par la perspective de l'arrivée proche. Il doit rester quoi ? Trois, quatre kilomètres maximum...



Mais j'entends une foulée rapide revenir derrière moi. Je me tourne, un peu surpris, pour voir qui je dois laisser passer, et ce faux-mouvement bizarre déclenche immédiatement une longue décharge électrique dans mes deux mollets. Je m'agrippe à un arbre comme un débile, pour ne pas tomber, et vois passer Stéphane, qui comprend bien que j'ai de petits soucis et m'adresse quelques mots sympas. Je le rassure, le laisse filer – déjà que de base il descend mieux que moi, alors là... - et vois aussi revenir Irina, qui repasse tranquillement, et se dirige vers une belle victoire. Je termine en jouant vraiment la sécurité, finalement 11eme de la course. La place n'est pas vraiment le plus important, je suis très heureux d'être parcourir les routes du temps, et je déguste à l'arrivée une pression de Sauvage ambrée, l'excellente bière brassée tout en haut de la vallée de l'Ubaye. Devant, ce sont Clément Petitjean, Stéphane Bégaud et Bruno Mestre qui forment le podium ; bravo à eux et à tous les autres courageux qui sont venu, ce dimanche-là, faire un tour dans le pays dignois.

Crédits photos:

Sarah Clerc
&
Akunamatata

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